Par Florent Couao Zotti
Je ne suis pas allé voter. Je me suis senti trahi par la décision injuste qui m’impose le choix de décider entre deux moutons de la même écurie. Avant, quand bien même j’étais conscient que mes candidats n’avaient aucune chance, j’exprimais mon vote, assuré que mon choix avait été fait, si minoritaire soit-il. Aujourd’hui, on me demande de décider, d’opter pour un mouton lépreux et pour une brebis galeuse appartenant au même propriétaire. Thierno Monénembo, l’écrivain guinéen appelle cet illogisme « le bal des caïmans ».
Or, je sais que dans le même parc, existent des quadrupèdes aussi souffreteux mais qui portent la marque d’autres propriétaires. Qu’on me donne l’occasion d’essayer l’un d’eux, comme je l’ai fait, il y a trois ans pour le propriété de la nouvelle écurie. C’est moi qui sais pourquoi je le préfère à un tel. J’assumerai ce choix et si la bête a tendance à faire l’âne, c’est mon bon droit de lui dire qu’il est rétif et qu’on doit lui administrer des coups de pied aux flancs pour qu’il avance. C’est cela la démocratie.
J’ai toujours dit et répété que notre démocratie n’est pas une greffe implantée à un peuple qui n’en savait rien. C’est un système voulu, souhaité et conquis par les Béninois échaudés par trente années d’errances politiques et qui, une fois qu’ils l’ont adopté, lui ont donné suite et consistance. Qu’une partie de l’élite politique l’ait galvaudé, cela est prévisible. Des corrections sont possibles pour l’expurgner, l’épurer des imperfections qui le polluent. Ce système dont le peuple est si fier et qu’il a toujours défendu par son comportement exemplaire, a fini par s’incruster dans son ADN. Aujourd’hui, l’irruption brutale et inconséquente de ce corps étranger est en train, petit à petit, de le corrompre quitte à jeter à la poubelle près de trente ans d’expériences.
En Afrique, dans le monde entier, les gens m’interpellent, nous interpellent. « Vous qu’on citait en exemple », » vous qui êtes notre boussole « , » vous qui… »
Sans le vouloir, on est devenus référence. Sans en donner l’air, nous sommes perçus en Afrique comme un îlot exceptionnel au milieu d’un océan de misère démocratique. Que ce modèle tangue, comme il l’est actuellement, cela donne des frissons aux autres, ceux qui, ailleurs, aspirent au même système et qui sont soucieux de voir que le contre-exemple béninois est un signal aux satrapes et apprentis dictateurs de leurs pays. « Vous voyez les Béninois, diraient ces dirigeants, ils sont finalement entrés dans les rangs ».
J’ai mal à mon pays, j’en ai surtout honte. Et ce sentiment, en ce moment, ne couvrira pas que moi seul. En haut lieu, on sait bien que quand le lézard est malheureux, c’est que sa honte devient aussi celle du caïman.
Florent Couao Zotti