Opinion de Modeste Toffohossou
Des élections législatives fantoches dans des débris d’institutions piétinées. Et bonjour les précipices ! Une gouvernance approximative avec un vice envahissant. Pathétique n’est ce pas ! Une tentation autoritaire pour un peuple qui broie le noir de l’incertitude au quotidien. Odieux ! En trois années, l’interlude d’espoir sollicitée et voulue n’aura été qu’une farce, un mépris. Depuis le 06 avril 2016 en effet, le Bénin est entré dans une nouvelle phase de gouvernance avec l’élection d’un nouveau Président de la République. Un nouveau mode d’exercice du pouvoir. Mais puisque le phénomène du pouvoir tient en bonne partie à la force de ceux qui le détiennent et des peuples qui sont gouvernés, il y a lieu d’opérer la psychanalyse des pulsions et des émotions définissant cette mégalomanie aux commandes. Il nous faut quand même chercher à comprendre l’actuel et grand charivari avec sa volée d’inconséquence et son envolée d’actes et d’actions en baudruche.
Certes, nos hérésies étaient dénoncées par les freudiens. Tout procède de l’inconscient collectif selon les junghiens. Avec les radlériens post-nietzschéens, la volonté de puissance explique tout. Les rodgériens nous ont appris les vertus de la non-directivité. Les cognitifs nous ont ramené à la perplexité puisque tout symptôme poursuit une fin destinée à préserver le malade d’un danger pire que celui qu’il croit fuir. Mais avec Patrice Talon, nous découvrons un caractère particulier d’entre ceux identifiant les hommes politiques.
En cinq typologies, ces hommes sont classés selon la théorie de Jean Pierre Friedman dans son livre « Du pouvoir et des hommes » : entraîneur, stratège, rigoureux; incompatibles entre eux, et deux complémentaires qui peuvent se superposer aux précédents : caractériel et joueur. Où se situe Patrice Talon? Sa méthode de gouvernement implique un modèle de gouvernance prenant corps dans une doctrine précise. Des décisions incomprises et impopulaires, des actions incohérentes et inconséquentes, des réactions violentes et arrogantes, des émotions fermées et glaciales…Patrice Talon est tout sauf un entraîneur, peut être joueur. Il n’est pas hyperactif et ne dispose pas d’énergie capable de résister à toutes les fatigues. Il n’est pas instinctif mais redoute foncer dans le tas, culbuter ou convaincre. Très méfiant, il se ferme aux bons sentiments.
Dans les moments de crise, il devient ébouriffé, réactionnaire en douce et en sourdine se forçant à ne pas le faire paraître. Nous avons vu sa gêne et sa peine au lendemain du premier échec de la révision de la Constitution. Et cela se remarque exactement dans les prises de parole qui rythment cette période. Il ne supporte pas la contradiction encore moins la différence même intelligente. La grandiloquence prend la place de l’humilité et la voie est ouverte pour la primauté de l’autoritarisme. Du coup, il ne saurait être un homme caractériel. Encore moins de la loi et du consensus. Celui qui pense avec Lao-Tseu qu’on dirige un État comme on fait frire un petit poisson : avec justesse et précaution. Mais plutôt celui qui aime les passages en force : « …vous allez en souffrir, mais vous ne pourriez rien faire », lançait il en novembre 2017 à la Direction et les Syndicats du Port Autonome de Cotonou au sujet des réformes engagées mais qui ne rencontraient pas l’assentiment de ces derniers et à juste titre pourtant.
Si on ne fait pas de bonnes littératures avec de bons sentiments, c’est pire en politique. Tel accepter des lois organisées et dirigées contre les intérêts collectifs et favorisant un « climat de peur » (Wolé Soyinka), empêcher la compétition, refuser des démarches inclusives. Patrice Talon est même loin d’être un stratège pour qui l’art de la politique est de faire naître l’espoir sans s’exposer à le décevoir. Mais, ici on découvre un homme de ruse, de réflexion, de dissimulation. Il s’appuie sur sa connaissance des hommes l’entourant et son cynisme pour satisfaire son insatiable ambition. Laquelle est de créer une situation et un contexte propices à la production d’un leadership politique désassorti et inconciliable à l’ordre constitutionnel du pays. Il prend en otage les leviers politiques et les règles du jeu économique du contexte et procède par une certaine désarticulation pensée et réfléchie dans l’objectif d’aboutir un résultat qui ne s’obtient généralement que par des procédés autoritaires. En recevant les voeux des Présidents d’Institution le 16 janvier 2018, le Chef du gouvernement a quemandé une « convergence institutionnelle ». En oubliant royalement que la légitimité et la légalité d’un pouvoir réside en grande partie à la confiance maintenue du citoyen dans les institutions. Ainsi, il fonctionne !
D’ailleurs le candidat Patrice Talon l’exprimait avec une certaine réthorique lors de son passage dans l’émission « Moi Président » de l’Office de Radio et de Télévision du Bénin en février 2016 : « Ce qui permet à un Président d’être réélu avec assurance, ce qui assure la réélection d’un Président, ce n’est pas son mandat, ce ne sont pas ses performances, ce n’est pas ses résultats, c’est la manière dont il tient les grands électeurs, c’est la manière dont il tient tout le monde, c’est la manière dont personne n’est capable de lui tenir tête, d’être compétiteur contre lui. Quand vous n’avez pas de compétiteur, vous avez beau être mauvais, vous serez réélu ! ». En trois ans et en reposant la doxa de sa gouvernance sur cette philosophie mafieuse et ce postulat dangereux, il fait sort à une justice indépendante, une administration impartiale, une presse libre, le respect du droit des minorités et un minimum de sécurité sociale. On le constate.
C’est ainsi que Patrice Talon dirige le pays depuis son élection. Il se donne les moyens politiques et le pouvoir législatif de faire peur pour mieux contrôler. Une sorte de police politique en laissant faire une conjoncture où la liberté juste et la contradiction saine des citoyens viennent à disparaitre du fait du contrôle absolu exercé sur leurs gestes et sur leur conscience. « Presque uniformément la peur sortait d’une chaîne de fabrication d’État », disait Wole Soyinka. La preuve, celui là même qui depuis son exil parisien de 2012 à 2015 maniait le lexique du pluralisme, de la transparence et de la bonne gouvernance s’en révèle être le réel bourreau ces mêmes principes. Avec des réformes qui ont l’apparence de la pertinence et de l’opportunité mais qui en réalité constituent autant de forfaitures contre la stabilité politique, l’ordre éthique et les perspectives économiques.
Du coup, Patrice Talon correspond à la définition de Montaigne dans « Essais » : « Pour eux, mentir et se parjurier n’est pas un vice mais une façon de parler ». Dans sa bouche, l’idéalisme est bien celui que décrivait Louis Ferdinand Céline : « L’intérêt personnel habillé avec de grands mots ». Et le résultat est bien là : une hausse exponentielle et décoiffante de la défiance politique, voire une sorte de haine… Elle mine l’autorité et la légitimité de tout notre système représentatif. On la réalise dans l’insolence frondeuse de divers corps de l’Etat. Dans ces passes d’armes par presse interposées ou ce ferraillement exacerbé dont on repaît l’opinion. Dans l’acide d’une résignation ou d’un regret conpulsif répandu à grandes louches amuseurs et polémistes. Dans l’exaspération collective de tous les segments de la société béninoise : riche ou pauvre, fonctionnaire ou opérateurs économiques, simples citoyens ou chefs d’entreprise. En trois bonnes années et à l’épreuve des faits, le style Talon révèle une conception singulière de la gestion du pouvoir politique. En ingénierie politique on parle de management négatif.
*Modeste Toffohossou*